Un mirage, au mieux, une calomnie, au pire. Devant une dizaine de députés, membres du groupe de travail sur les conditions d’accueil des migrants en France, le préfet des Alpes-Maritimes, Georges-François Leclerc, s’est montré intraitable ce mercredi : selon lui, il n’y a pas de contrôle au faciès dans les trains qui arrivent à la gare de Menton-Garavan. Quoi qu’en disent les associations d’aide aux migrants, les députés et sénateurs, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui, ces derniers mois, ont rendu publics des rapports de visite à la frontière franco-italienne faisant état d’atteintes aux droits des personnes étrangères, on est prié de le croire.

«Vous nous dites qu’il n’y a aucun contrôle au faciès. Je ne connais aucun endroit où il n’y en a aucun, lui a fait remarquer la députée de l’Hérault, Muriel Ressiguier (La France insoumise). Par contre, ce qui m’intéresse, c’est que vous nous disiez que ce n’est pas votre philosophie. On sait que ces choses-là existent.» Imperturbable, le préfet a proposé une explication : les trains régionaux effectuant le trajet de l’Italie (Vintimille, ou San Remo par exemple) à la France (Menton, Monaco, Monte-Carlo…) sont empruntés au quotidien par des travailleurs transfrontaliers, lesquels auraient l’habitude à chaque arrivée de policiers – souvent des CRS – de présenter d’emblée leur pièce d’identité. Les autres passagers ne les verraient alors pas être contrôlés, d’autant que pour éviter de paralyser le trafic, il faudrait faire au plus vite. En revanche, les personnes présentant une carte d’identité d’un autre pays, ou n’en présentant pas, seraient l’objet d’une attention plus particulière. «Le contrôle doit se faire rapidement, pour autant, je suis catégorique : il n’y a pas de contrôle au faciès. Quand la carte d’identité n’est pas française ni italienne, le policier marque un temps d’arrêt», a affirmé Georges-François Leclerc.

Hygiène déplorable

Moue dubitative des députés FI, mais aussi de la présidente du groupe de travail, la députée des Alpes-Maritimes Alexandra Valetta-Ardisson (LREM), qui avait eu, en introduisant la séance, la formule ferme mais prudente : «Je n’ai jamais constaté le moindre manque de respect de la part des policiers. Je n’ai pas constaté de contrôle au faciès au point de passage de Pont-Saint-Louis, où tout le monde est contrôlé, mais, à la gare de Menton-Garavan, j’ai pu constater ce qui pourrait être qualifié de contrôle au faciès.»

Autre point soulevé par la présidente du groupe de travail, et déjà pointé du doigt par les associations, les instances indépendantes et d’autres parlementaires : les locaux dans lesquels sont accueillis, l’espace de quelques heures, les personnes en attendant de vérifier si elles sont admissibles sur le territoire ou de les remettre aux autorités italiennes, seraient dans un état d’hygiène déplorable. Pour le préfet, l’explication est simple : Alexandra Valetta-Ardisson s’est rendue sur place un lundi, or, les équipes de nettoyage, manque de chance, ne passent pas le dimanche. Il n’empêche, lors d’une visite de plusieurs jours en septembre, les contrôleurs de la CGLPL avaient notamment pris des photos de sanitaires bouchés.

Au fond, c’est le statut de ces locaux, qui ont bénéficié d’une extension récemment face à l’afflux de personnes passant par ce point de passage autorisé, qui pose question. Pour le préfet, il s’agit d’«un commissariat de police, en aucun cas [d’]un lieu de rétention». Pour les associations et quelques députés, ces locaux, puisque des personnes y sont retenues plusieurs heures, sont assimilables à des lieux de rétention ou des zones d’attente. Elles devraient donc pouvoir y exercer leurs droits spécifiques.

Formulaires de non-admission préremplis

Dans une décision du 5 juillet 2017, le Conseil d’Etat donne raison au préfet : «Il ne résulte pas de l’instruction que les étrangers retenus dans les bâtiments préfabriqués récemment édifiés dans les services de la police aux frontières de Menton y seraient maintenus dans des conditions attentatoires à la dignité humaine ; que la construction de ces bâtiments a d’ailleurs été entreprise pour mettre un terme à la situation antérieure, dans laquelle il n’existait pas de solution d’accueil décente en cas d’augmentation subite du nombre des étrangers contrôlés à la frontière ; qu’il n’est pas utilement contesté qu’ils y disposent de sanitaires et se voient proposer des bouteilles d’eau ; que la seule circonstance que certaines commodités soient absentes ou non disponibles en permanence ne caractérise pas par elle-même, au vu des éléments qui ont été débattus devant le juge des référés du Conseil d’Etat, une atteinte grave à une liberté fondamentale.» La réglementation sur les zones d’attente ne s’applique en outre pas, puisqu’il s’agit d’un point de passage routier, dans une frontière intérieure et non extérieure de l’UE.

D’ailleurs, aux associations qui expliquent avoir vu des migrants repartir avec des formulaires de non-admission préremplis, ce qui est illégal – pour exercer ses droits et ses éventuels recours, la non-admission doit être motivée – le préfet répond que les policiers ne s’amuseraient pas à préremplir au hasard des formulaires qui, une fois confrontés aux données enregistrées par les Italiens, se révéleraient erronés, d’autant que le doute bénéficierait alors à la personne concernée. Un raisonnement aux allures de bon sens, mais qui ne prouve pas grand-chose face aux allégations d’instances aussi diverses que celles qui se sont alarmées ces derniers mois.

L’intérêt supérieur de l’enfant

Enfin, le traitement des mineurs isolés fait aussi l’objet d’inquiétudes. Dans la loi, si une personne est vraisemblablement mineure, mais que ce n’est pas certain, le doute doit lui bénéficier. L’enfant est alors théoriquement pris en charge par les services départementaux dédiés. «Les contrôleurs ont relevé que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été réadmis vers l’Italie alors qu’ils ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement», écrivait la CGLPL dans son rapport de visite, pointant que seuls 0,3% des mineurs interpellés à Menton avaient été confiés à la protection de l’enfance.

Pour le préfet des Alpes-Maritimes, ce faible taux s’expliquerait par le fait que le département serait avant tout un point de passage, plus qu’un point d’arrivée pour les migrants. Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, abonde : «La plupart des mineurs accueillis ne restent pas.» Georges-François Leclerc a fourni quelques chiffres pour prouver la bonne volonté des Alpes-Maritimes : en 2017, 517 mineurs isolés avaient été mis à l’abri, alors qu’ils sont plus de 1 000 à l’avoir été depuis le début de l’année 2018. Une accélération due à une décision du tribunal administratif, en février dernier, qui a estimé que le préfet devait faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’en cas de doute, la personne devait être reconnue mineure. «C’est la preuve indubitable que la loi est respectée dans les Alpes-Maritimes», a affirmé le préfet Georges-François Leclerc.